L'éclaircie
« l'Eclaircie » est un projet que je propose aux bibliothèques : lecture/danse/peinture à vue basse, du livre en braille de Lionel Bourg "Les montagnes du soir" par un non-voyant. Grand format.
Pour travailler sur le livre Les montagnes du soir de Lionel Bourg, c'est-à-dire pour rentrer en correspondance entre ces textes et la peinture, j’avais besoin de rencontrer son écriture. Durant l’année 2002, j’ai donc commencé à lire ses textes, à arpenter ses paysages : Mortes pierres, Mont Pilat, l’oubli et la mémoire des lieux, Dans le vent du chemin, L’ombre nue, Matière du temps 1 et 2, Rien qu’une ombre inventée…et d’autres livres encore
Pour moi, c’était cela rencontrer l’écriture, c’était me laisser éclabousser par la grêle des mots, amasser, attendre, respirer, oui surtout respirer.
Les montagnes du soir, je l’ai lu et relu. J’en ai tiré d’abord un grand voyage et comme dans tous les grands voyages j’en ai retenu des mots ou expressions que j’ai consignées sur un de mes carnets. Depuis, il forme le triste parchemin rescapé de mon voyage où quelques brides restent encore lisibles : Mongolie frileuse, peau parcheminé qui danse, manœuvre du monde, érodé, carié…marcher dès lors, marcher comme on pénètrerai à l’intérieur d’un univers dépouillé de sa pulpe ou de ses oripeaux organiques… carbonifère…
Ensuite est venu le temps de la peinture où, presque dès le début, je me suis mis dans les contraintes du livre : nombre limitée, petit format, épreuve en noir et blanc. Le livre est sorti comme on dit, paru chez Cadex édition. J’en étais plutôt content mais j’avais envie de passer à autre chose.
Durant l’année 2006 j’ai arpenté mes paysages. J’ai chargé une petite presse dans le coffre de ma voiture et je suis parti dans mes montagnes. J’ai réalisé des petits monotypes- cette fois ci tout en couleur- et j’ai tenté, une fois rentré à la maison, d’agrandir ce procédé à l’aide de matrice plus grande.
Et puis j’ai eu envie de revenir dans les paysages de Lionel. C’était comme un appel. J’avais envie de marcher dedans, d’agrandir l’expérience, de questionner des écritures, bref de danser Les Montagnes du soir.
J’ai fait traduire le livre en braille et j’ai proposé à des non voyants des lectures à voix et à vue basse pour des bibliothèques. Je voulais tenter pendant cette relecture devant un public d’improviser le mouvement de correspondance. Je ne peux encore l’expliquer mais j’ai eu besoin de mettre un costume noir comme si j’avais un précieux rendez-vous. Enfin j’ai demandé à Christian s’il pouvait m’accompagner par le biais d’une caméra dans le suivi de cette tentative.
Bien sur les voix de Michel, Nicole, Nora et Claude résonnent encore, ceux-là même que j’avais fait danser en 98 dans La nuit du corps, chorégraphie pour quatre malvoyances.
Bien-sur et continuellement le visage de ma grand-mère est là, souriante, coiffée de ses énormes lunettes en cul de bouteille, elle qui, décédé aveugle, a passé sa vie à souder des ampoules endoscopiques, lumière on ne peu plus appropriée pour scruter des nuits de corps.
Plusieurs années séparent toutes ces expériences. A chaque fois j’ai été traversé par le même sentiment.
Tout d’abord celui d’avoir été perpétuellement accompagné dans ce voyage, dans cette recherche obscure d’une chose secrète.
Aussi, depuis, d’être toujours en chemin, en charge, porté et effacé et en définitif non pas éclairé mais éclaircit.
Note d’atelier juillet 2007