Chair de toutes parts
« Chair de toutes parts » : Travail récurent autour du mouvement et du modèle vivant.
CHAIR DE TOUTES PARTS
J’ai replié les branches
rassemblé les écorces
tandis que la lumière se distillait en rose
j’ai ratissé les restes
j’ai rangé tout le bois
j’ai cassé des pierres grasses
préparé des terres noires
la boue et l’intuition
la neige a étouffé le bruit des gris
et éclairci le jardin
un blanc de titane
et la beauté qui tue
ont posé leur silence
j’ai rejoins ce que le temps pouvait m’offrir
j’ai fouillé dans mes trousses
quelques fusains pastels et charbon noir
sous la voûte de nuit des grands arbres courbés
le ciel tout à l’heure m’aura donné des forces
par le bois calciné, le bois d’ambre brûlé
par des gestes reçues comme d’un nouveau bienfait
ceux que j’attendais
avant de les faire mien
j’ai commencé à souligner tes ombres
j’y suis allé seul
baliser le chemin
les traces de ta lenteur
il me fallait désarmer mes volontés habiles
venant des bleus profonds
et de l’origine du monde
j’ai dessiné d’un trait
ta peau sans la clôture
la danse de ton corps
comme un évanouissement
je pensais avoir bu
toute l’ondée de ta chair
étreint ton ciel gorgé
j’ai même cru l’habiter
j’ai fait le tour de ton corps
pas celui de l’amour
ni celui de la mort
j’ai entendu ta voix
le monde se hâtait
d’aller vers nulle part
la pointe du pinceau
qui soulève ton visage
comme les dernières roses
dans le jardin fané
le bouquet de tes gestes
les chairs qui se relèvent
les ocres qui se tiennent
et les mauves qui ferme le temps
j’aime la vie dans toute son exigence
et j’ai l’intime conviction
qu’il en faut de l'espace
pour dire l'intimité
la solitude cède dans l’étendue des traces
ne laisse que ton pli
tes veines fines ton silence
tes mains éparpillées
la moisson de tes gestes
quelques couleurs passées
des nuances naufragées
le paysage invisible
sur le papier embué
ta respiration qui s’étend
et qui attend un nom
au plus creux de toi-même
ton cœur minuscule
récif frêle livré aux grandes marées
celles qui reviennent en nous
la parfaite douceur des ocres et des roux
ceux qui brouillent les bleus
et retournent dans la bouche fermer les noirs du soir
et nous dansons quand même
cherchant dans le monde vaste
l’approbation d’un père
au dessus de nous traîne une présence
le blanc des solitudes
une huile qui coule
une tâche qui tache
comme une ondée de feuilles
un frisson qui secoue un geste inaccompli
tes bras qui balayent la fumée des blessures
et ton cœur comme toi qui contient l’infini
et qui tape le silence
j’ai cru entendre dire
pendant que tu posais
et que l’ombre de toi touchait le haut plafond
l’aube c’est le jour de ta naissance
mais il te fallait rentrer chez toi
ta robe enfilée en vitesse effleure les feuilles au sol
soulève les naufragées de ta seule présence
j’ai essayé de conserver ce que les yeux
avaient gravé au dedans de ma tête
des morceaux de toi qui me rendent plus entier
des extraits de toi qui soignent ma déchirure
mais personne n’est libre sans faire fondre l’armure
un tissu là sur l’estrade m’attend
un vieux manteaux d’hiver aussi
fourrure crispée de givre
je traverse ce qu’il reste de tes dépositions
quelques horizons vastes
beige et sans raison
l’angle mort de ton corps
l’inaccessible endroit
la question est vaste
comment donner l'espace
la grande éloquence
la grande intensité
par la seule peinture
si elle en est capable
j’ai réaménagé l’espace
rangé les tas de pauses
sur mon vieux tabouret
où traîne quelques couleurs
bientôt je serai vieux
et un morceau de ciel
habitera mes yeux